Publié le 17 mai 2025

Contrairement à l’idée reçue, la sécurité en mer ne dépend pas de la quantité d’électronique à bord, mais de la qualité du dialogue critique que le marin instaure avec elle.

  • Le GPS n’est pas une vérité absolue ; le croiser avec l’observation directe et les cartes marines est une compétence fondamentale, non une option.
  • L’AIS et le radar ne sont pas des concurrents mais des alliés complémentaires qui racontent, ensemble, une histoire plus complète de votre environnement.

Recommandation : Cessez de « subir » passivement les informations de vos instruments et commencez à les « interroger » activement pour développer un véritable sens marin numérique.

Le pont d’un voilier moderne ressemble de plus en plus à un cockpit d’avion. Écrans multifonctions, tablettes, téléphones… La promesse est séduisante : une navigation plus sûre, plus simple, plus précise. Pourtant, cette abondance technologique cache un paradoxe. Jamais nous n’avons eu autant d’informations à portée de main, et jamais le risque de déconnexion avec l’essentiel – la mer, le vent, les courants – n’a été aussi grand. On entend souvent les conseils habituels : garder des cartes papier « au cas où » ou apprendre la navigation astronomique. Si ces savoirs sont précieux, ils occultent souvent le vrai débat.

Le problème n’est pas tant une opposition entre le traditionnel et le moderne, qu’une question de posture. Comment utiliser ces outils surpuissants sans leur déléguer notre jugement ? La véritable compétence ne réside plus seulement dans la capacité à tracer une route sur une carte, mais dans l’art de mener un interrogatoire constant de ses instruments. Et si la clé n’était pas de rejeter la technologie, mais de développer un « sens marin numérique » ? Cette approche consiste à traiter l’électronique non pas comme un oracle infaillible, mais comme un équipier, certes très doué, mais qu’il faut savoir écouter, questionner et parfois même contredire.

Cet article propose de changer de perspective. Nous n’allons pas simplement lister les fonctions de vos appareils, mais explorer comment les utiliser avec un esprit critique affûté. L’objectif est de replacer la technologie à sa juste place : celle d’un formidable outil d’aide à la décision, qui augmente les compétences du marin sans jamais les remplacer. C’est en cultivant ce dialogue permanent entre l’homme, la machine et l’environnement que la navigation devient non seulement plus sûre, mais aussi infiniment plus riche.

Pour ceux qui préfèrent un format condensé, la vidéo suivante résume les points de vigilance essentiels pour une navigation en toute sécurité. Elle complète parfaitement les réflexions de ce guide sur l’utilisation critique de vos équipements.

Pour vous guider dans cette démarche, nous aborderons les instruments clés de votre tableau de bord, non pas sous un angle technique, mais stratégique. Chaque section explorera une facette de ce « sens marin numérique » à développer pour une maîtrise sereine de votre environnement.

Votre GPS vous ment parfois, voici pourquoi et comment le vérifier

L’icône de votre bateau glissant parfaitement sur la carte électronique est devenue une image d’Épinal de la navigation moderne. Cette confiance quasi aveugle dans le positionnement par satellite est ce que les psychologues appellent le biais de l’automatisation : notre tendance à trop faire confiance aux systèmes automatisés. Or, le système GNSS (dont le GPS est la composante américaine) n’est pas infaillible. Sa vulnérabilité la plus médiatisée est le « spoofing » (leurre), où un faux signal vient tromper votre récepteur, vous faisant croire que vous êtes ailleurs. Si les cas extrêmes sont rares en plaisance, les micro-erreurs, les interférences ou les dégradations de signal sont plus communes.

Des phénomènes atmosphériques, des zones d’ombre près de falaises ou même des interférences volontaires à proximité de zones sensibles peuvent altérer la précision de votre position. Une étude américaine a d’ailleurs recensé près de 9 883 incidents de spoofing GPS en mer, démontrant que le risque n’est pas purement théorique. Ces incidents ne sont pas le fruit du hasard, comme le soulignaient déjà en 2019 des rapporteurs du Center for Advanced Defense Studies (C4ADS) dans L’Express, notant que « La Russie joue un rôle pionnier dans ce domaine ».

La première défense est donc mentale : accepter que votre GPS peut se tromper. La seconde est pratique : la redondance intelligente. Cela ne signifie pas avoir trois GPS, mais croiser l’information électronique avec d’autres sources. Le plus simple ? Un relèvement compas sur un amer (phare, clocher, cap) visible à l’œil nu et reporté sur la carte. Si votre position GPS ne correspond pas à cette ligne de relèvement, une alarme doit sonner dans votre tête. C’est ce dialogue entre l’information de l’écran et l’observation du monde réel qui constitue le premier pilier du sens marin numérique.

L’AIS, votre meilleur allié pour ne jamais croiser la route d’un cargo

L’AIS (Automatic Identification System) a révolutionné la sécurité en mer en transformant les navires anonymes en cibles identifiées. Il transmet en continu l’identité, la position, la route et la vitesse de votre bateau tout en recevant les mêmes informations des navires alentour. Pour le plaisancier, son principal atout est de rendre visible « l’invisible » : le cargo de 300 mètres qui arrive à 20 nœuds et qui se trouve encore derrière une pointe ou masqué par la brume. Sachant que 100% des navires de commerce de plus de 300 tonneaux en sont équipés conformément à la règle SOLAS, l’AIS est votre meilleure assurance-vie dans les zones de trafic dense.

Cependant, l’AIS alimente aussi un biais cognitif dangereux : l’illusion de l’exhaustivité. En voyant votre écran rempli de cibles bien identifiées, vous pourriez croire que tout ce qui flotte est visible. C’est une erreur. Les bateaux de pêche non assujettis, les plaisanciers sans AIS (ou avec un AIS éteint pour économiser l’énergie), et bien sûr les OFNI (Objets Flottants Non Identifiés) comme les conteneurs semi-immergés n’apparaîtront jamais sur votre écran. L’AIS ne vous montre que ceux qui veulent bien être vus.

Le Règlement international pour prévenir les abordages en mer (COLREGs) est très clair à ce sujet. Comme le rappelle l’organisation Rubicon3 Adventure, « Lorsque l’AIS est utilisé à des fins d’anticollision, il ne remplace pas, mais soutient, les systèmes de navigation tels que le suivi de cible par radar ». L’AIS est donc un outil d’anticipation stratégique, pas un outil de veille tactique de dernier recours. Il vous permet de planifier votre route des heures à l’avance pour éviter les zones de convergence. Mais il ne remplace en aucun cas une veille visuelle et auditive attentive, le fameux « scan » à 360° de l’horizon qui reste la règle d’or de la sécurité en mer.

Radar ou AIS : lequel vous sauvera vraiment la mise dans le brouillard ?

Poser la question en termes de compétition est une erreur de débutant. Dans le brouillard, le radar et l’AIS ne sont pas des adversaires mais le « couple parfait » de la sécurité. Ils ne voient pas la même chose et ne parlent pas le même langage, et c’est précisément cette différence qui fait leur force combinée. Le radar est un œil « bête » mais exhaustif : il utilise les ondes radio pour détecter la présence physique de tout ce qui dépasse de l’eau dans un certain rayon – un bateau, une bouée, une falaise, un grain. Il vous dira « il y a quelque chose là », mais il ne vous dira pas quoi.

L’AIS, lui, est un « cerveau » social mais sélectif. Il ne détecte rien par lui-même ; il ne fait qu’écouter et afficher les « cartes de visite » que les autres navires émettent. Il vous dira « ce bateau est le cargo ‘MSC Fantasia’, il fait route au 270 à 18 nœuds », mais il ne vous montrera jamais le petit bateau de pêche sans AIS droit devant. Le radar voit les obstacles, l’AIS identifie les menaces connues. L’un prévient la collision, l’autre facilite la communication et l’anticollision.

La véritable puissance émerge lorsque ces deux flux d’informations sont superposés sur le même écran. Vous pouvez alors voir un écho radar (un objet physique) et, superposé à lui, l’icône AIS correspondante. C’est la confirmation ultime. Mais le scénario le plus important est l’inverse : quand vous voyez un écho radar sans cible AIS. C’est l’alerte maximale. Cela signifie qu’un obstacle non identifié se trouve sur votre route, et il requiert toute votre attention. C’est en recherchant activement ces divergences que le navigateur transforme un flot de données en une information tactique à haute valeur ajoutée.

La technique infaillible pour savoir si votre électronique de bord vous trahit

La trahison la plus sournoise de votre électronique ne vient pas d’une panne franche, mais d’une dégradation silencieuse de la qualité des données. Un capteur qui dérive, une antenne mal connectée, un logiciel qui n’a pas été mis à jour… Le système semble fonctionner, mais les informations qu’il fournit sont subtilement fausses, menant à de mauvaises décisions. La seule technique infaillible pour déceler cette trahison est la vérification par cohérence croisée. C’est un principe simple : une information n’est considérée comme fiable que si elle est confirmée par au moins une autre source, de préférence de nature différente.

Cette méthode s’applique à tous les niveaux. Votre position GPS est-elle cohérente avec un relèvement compas ? La vitesse affichée par le loch-speedomètre (vitesse surface) est-elle logique par rapport à la vitesse fond donnée par le GPS, compte tenu du courant estimé ? Si vous avez un courant de 2 nœuds dans le nez et que vos deux vitesses sont identiques, l’un des deux instruments ment. Le cap suivi par le pilote automatique correspond-il au cap affiché par le compas de route ? Une différence de quelques degrés peut révéler un problème de calibration ou une interférence magnétique.

Le plus grand ennemi de la fiabilité est souvent l’opacité du système. Nous installons des appareils sans toujours comprendre comment ils calculent leurs données. Le fameux « vent réel », par exemple, n’est pas une mesure directe mais un calcul complexe qui combine le vent apparent (mesuré par la girouette-anémomètre), la vitesse surface (du loch) et le cap (du compas). Une erreur sur un seul de ces capteurs faussera entièrement le résultat. Le bon réflexe n’est donc pas de faire une confiance aveugle au chiffre final, mais de vérifier régulièrement la santé de chaque maillon de la chaîne d’information. C’est en adoptant cette hygiène de doute méthodique que l’on se prémunit contre les erreurs silencieuses.

Faites dialoguer vos instruments pour qu’ils vous racontent la bonne histoire

Un système de navigation moderne n’est pas une collection d’instruments indépendants, mais un réseau où chaque appareil doit pouvoir parler aux autres. Ce dialogue est orchestré par des protocoles de communication, les deux plus connus étant le NMEA 0183 et son successeur, le NMEA 2000. Comprendre leur différence est essentiel pour bâtir un système cohérent. Le NMEA 0183 est un ancien protocole où un « parleur » (une sonde, un GPS) envoie ses données à plusieurs « auditeurs ». C’est un système simple mais limité. Le NMEA 2000, lui, est un véritable réseau en bus, un peu comme un réseau informatique. Tous les appareils sont connectés à une même « colonne vertébrale » (backbone) et peuvent à la fois envoyer et recevoir des données.

Comme le précise le site Navigation-MAC, « NMEA 2000® permet la communication de tous les appareils répondant à la norme, quel qu’en soit le fabricant, par simple connexion sur le réseau ». Cette interopérabilité est une avancée majeure. Elle permet, par exemple, à votre écran multifonctions d’afficher les données du moteur, au pilote automatique d’utiliser les informations de la girouette pour tenir un angle de vent constant, ou à votre VHF de récupérer la position GPS pour les appels de détresse. Mais cette interconnexion a un revers : l’effet domino. Une donnée erronée injectée dans le réseau par un capteur défaillant peut « empoisonner » les calculs de tous les autres appareils.

Étude de Cas : L’erreur de vent réel due à un loch mal étalonné

Un exemple classique est celui d’un loch-speedomètre mal étalonné qui surestime la vitesse du bateau de 10%. Cette vitesse erronée est envoyée sur le réseau NMEA 2000. La centrale de navigation la reçoit et l’utilise pour calculer le vent réel à partir du vent apparent. Le vent réel affiché sera donc faux, ce qui peut conduire le skipper à choisir un mauvais réglage de voiles, pensant que le vent a changé alors que c’est son capteur qui est défaillant. Cela illustre parfaitement comment une seule information de base incorrecte peut fausser toute la chaîne de décision.

L’enjeu n’est donc pas seulement d’avoir un réseau, mais de s’assurer de la qualité des données qui y circulent. Le marin-technicien doit être capable de diagnostiquer la source d’une information incohérente, en débranchant au besoin un appareil du réseau pour voir si la situation s’améliore. La « bonne histoire » que racontent vos instruments est celle qui est cohérente, et cette cohérence dépend autant de la qualité de la connexion que de la justesse de chaque capteur.

Ce que votre carte marine vous dit que votre GPS ne vous dira jamais

L’écran de notre GPS ou de notre traceur nous offre une vision épurée, presque simpliste, du monde marin. C’est une de ses grandes forces, mais aussi une de ses plus grandes faiblesses. Il ne montre que ce pour quoi il est programmé : la position, les contours de côte, les dangers principaux. La carte marine traditionnelle, qu’elle soit en papier ou sous forme de calque électronique (cartes vectorielles ou raster), est infiniment plus riche. Elle est le fruit de siècles d’hydrographie et de connaissance maritime, et elle parle un langage que le GPS ignore.

Une carte marine vous renseigne sur la nature des fonds (sable, vase, roche), une information capitale pour le choix d’un mouillage. Elle indique les zones de câbles sous-marins ou d’anciennes munitions, où il est interdit de mouiller. Elle détaille les courants de marée avec leurs directions et leurs forces selon les heures. Elle précise la nature d’un phare (éclats, couleur, période), ce qui permet de l’identifier de nuit sans le moindre doute. Elle mentionne les alignements, ces constructions à terre qui, une fois superposées, vous donnent une route d’entrée de port d’une précision absolue. Comme le rappelle l’article Wikipédia sur la carte marine, son contenu engage la responsabilité de l’État qui la publie via son service hydrographique, lui conférant un statut officiel.

Le danger des cartes purement électroniques est qu’elles peuvent être basées sur des relevés anciens. Un haut-fond peut avoir bougé, un chenal peut s’être ensablé. Le Programme national d’hydrographie 2021-2024 du SHOM (le service hydrographique français) met justement en lumière les zones où les données sont obsolètes et nécessitent de nouveaux levés. Lire une carte, c’est donc aussi lire son histoire, vérifier la date de ses sources. Le GPS vous dit où vous êtes. La carte marine vous dit où vous êtes, ce qu’il y a sous vous, ce qui vous entoure, et le degré de confiance que vous pouvez accorder à ces informations. Elle n’est pas un simple backup, mais la couche de lecture sémantique indispensable à toute navigation éclairée.

La méthode simple pour ne pas naviguer en crabe et arriver à destination

L’un des concepts les plus fondamentaux et pourtant souvent mal maîtrisés par les plaisanciers est la différence entre le cap et la route. Le cap est la direction vers laquelle le nez du bateau est pointé. La route est le chemin réellement parcouru sur le fond de l’eau. Entre les deux, il y a l’influence combinée du vent (la dérive) et du courant. Ne pas compenser ces éléments, c’est l’assurance de « naviguer en crabe » et de manquer sa destination, parfois de plusieurs milles après quelques heures de navigation.

Le vent pousse latéralement le bateau, surtout les voiliers dont les superstructures et les voiles offrent une grande prise au vent. Cette dérive doit être estimée et corrigée. Comme le rappelle le cours de navigation d’ESRC Croisière, « La route surface (Rs) diffère du cap vrai (Cv) d’un angle appelé dérive (dér) ». Si vous avez un vent de travers venant de bâbord, vous devrez viser un peu plus à gauche de votre destination pour que le vent vous « ramène » sur la bonne trajectoire. Le courant, quant à lui, agit comme un tapis roulant sous-marin qui déplace la masse d’eau dans laquelle votre bateau évolue. La correction est similaire : il faut « pointer » son étrave dans le courant pour contrer son effet.

L’électronique moderne offre des outils puissants pour gérer cela. Le pilote automatique, en mode « route fond » (et non « cap »), utilisera les données du GPS pour ajuster en permanence le cap et suivre la route que vous lui avez programmée, compensant ainsi automatiquement l’effet global du courant et de la dérive. Pour les voiliers cherchant la performance, le concept de VMG (Velocity Made Good) est crucial. Il ne s’agit pas de la vitesse du bateau, mais de la vitesse à laquelle on se rapproche réellement de la destination au vent. Parfois, il est plus rapide de faire un cap légèrement moins direct (moins « pointu » face au vent) mais à une vitesse plus élevée, pour obtenir une meilleure VMG. C’est l’art du compromis, parfaitement calculé par les centrales de navigation modernes.

Votre plan d’action pour déjouer la dérive

  1. Estimez l’angle de dérive : En fonction de la force du vent et de l’amure (le côté d’où vient le vent), estimez un angle de dérive (généralement entre 5° et 10° pour un voilier).
  2. Calculez votre cap corrigé : Ajoutez (si le vent vient de tribord) ou soustrayez (si le vent vient de bâbord) cet angle à la route souhaitée pour obtenir le cap compas à suivre.
  3. Validez avec la route fond : Activez l’affichage de la « route fond » (COG – Course Over Ground) sur votre GPS. Comparez-la régulièrement à la route souhaitée. Si elles diffèrent, ajustez votre cap jusqu’à ce qu’elles coïncident.
  4. Anticipez l’effet du courant : Avant de partir, consultez les cartes de courant. Si un courant de travers est prévu, appliquez une correction de cap préventive dans la direction opposée pour neutraliser son effet.
  5. Utilisez le pilote à bon escient : Engagez votre pilote automatique en mode « route » ou « track ». Il maintiendra la trajectoire sur le fond, mais surveillez le cap qu’il adopte pour comprendre l’importance de la dérive et du courant.

Toute cette technologie ne prend cependant son sens que si elle est constamment validée par la plus ancienne et la plus fiable des techniques : .

À retenir

  • Le sens marin numérique repose sur un doute méthodique : ne jamais faire une confiance aveugle à un seul instrument.
  • La redondance intelligente est la clé : toujours croiser une donnée électronique (GPS, AIS) avec une information d’une autre nature (visuelle, radar, carte).
  • La technologie est un copilote, pas le pilote : elle augmente votre perception mais ne doit jamais remplacer votre jugement final et votre observation directe.

L’art de la navigation à vue : pourquoi la côte est le meilleur des terrains de jeu

Après avoir exploré les subtilités de nos instruments électroniques, le retour à la navigation à vue peut sembler anachronique. C’est tout le contraire. La navigation côtière, en gardant la terre en vue, est le laboratoire permanent où s’exerce et s’affine notre sens marin, y compris notre sens marin numérique. C’est là que l’on peut confronter en permanence ce que dit l’écran et ce que l’on voit par la fenêtre. Cette église sur la colline, ce phare à l’entrée de la baie, cette bouée cardinale… chaque élément du paysage est un point de contrôle, une occasion de valider ou d’invalider les informations électroniques.

Naviguer à vue, c’est réapprendre à lire le paysage marin, à estimer les distances, à sentir l’influence du vent sur sa coque. C’est observer la mer pour y déceler les signes d’un courant ou d’un haut-fond. C’est l’entraînement ultime de notre cerveau à la détection d’anomalies. Si votre GPS vous situe à 200 mètres d’une bouée que vous voyez manifestement à 50 mètres sur votre tribord, votre cerveau entraîné déclenchera une alarme instantanée. Un navigateur qui ne quitte jamais son écran des yeux perd cette capacité fondamentale d’évaluation et de mise en perspective.

La côte n’est donc pas seulement un guide, c’est un terrain de jeu pédagogique. C’est l’endroit idéal pour s’exercer à couper volontairement le GPS pendant une heure et à se positionner avec trois relèvements. C’est là que l’on peut s’amuser à identifier les phares la nuit grâce à leurs caractéristiques lumineuses, ou à suivre un alignement pour entrer dans un port. En pratiquant régulièrement ces exercices, on ne se prépare pas seulement à une hypothétique panne générale ; on muscle sa capacité à penser de manière critique, à rester connecté à son environnement et à utiliser l’électronique pour ce qu’elle est : une confirmation, et non une révélation.

En définitive, l’objectif n’est pas de rejeter la technologie mais de la dompter. Développer un sens marin numérique, c’est accepter de devenir le chef d’orchestre d’un ensemble d’instruments puissants, en s’assurant que la partition qu’ils jouent est toujours juste et en harmonie avec la réalité de la mer. Appliquez cette philosophie critique dès votre prochaine sortie pour transformer votre expérience de la navigation.

Rédigé par Hervé Martin, Mécanicien marine et électronicien de bord depuis 20 ans, Hervé a la passion de rendre la technique accessible à tous les plaisanciers. Son expertise couvre tout ce qui touche à la motorisation, à l'énergie du bord et à la maintenance préventive.