
En résumé :
- Face à une urgence en mer, la qualité de votre matériel ne vaut rien sans la maîtrise des procédures. La panique est le véritable ennemi.
- La clé de la survie réside dans des automatismes procéduraux, acquis par l’entraînement, qui permettent de réduire la charge cognitive et d’agir efficacement sous stress.
- Chaque type de crise (homme à la mer, feu, voie d’eau) possède sa propre chorégraphie de gestes simples mais vitaux.
- La prévention active et la préparation mentale transforment un équipage passif en une équipe réactive, capable de gérer un incident avant qu’il ne devienne un accident.
Il est trois heures du matin. Un bruit sourd et inhabituel vous tire de votre sommeil. Est-ce une vague plus forte que les autres, le mouillage qui dérape, ou quelque chose de plus grave ? En quelques secondes, le cœur s’emballe. C’est dans cet instant précis, entre l’incertitude et la peur, que des mois, voire des années de préparation, prennent tout leur sens. Pour beaucoup de navigateurs, la sécurité se résume à une liste d’équipements obligatoires, rangés dans un coffre en espérant ne jamais s’en servir. Gilet, extincteur, grab bag… cocher les cases de la Division 240 donne bonne conscience, mais ne prépare en rien à l’onde de choc d’une véritable urgence.
Le matériel le plus sophistiqué devient inutile entre des mains paralysées par le stress. La véritable platitude, c’est de croire que l’on saura improviser. Mais si la véritable clé n’était pas l’équipement, mais la procédure ? Et si la sécurité ne résidait pas dans ce que l’on possède, mais dans les automatismes que l’on a répétés jusqu’à ce qu’ils deviennent des réflexes ? La gestion d’une crise en mer n’est pas un acte de bravoure spontané, mais l’exécution calme et méthodique d’une chorégraphie apprise, où chaque membre de l’équipage connaît son rôle sur le bout des doigts.
Cet article n’est pas une simple liste de consignes. C’est un changement de perspective. Nous allons décomposer les situations de crise les plus redoutées (homme à la mer, feu, voie d’eau…) non pas comme des fatalités, mais comme des scénarios à gérer. L’objectif est de transformer la peur panique en une série d’actions logiques, de faire de votre cerveau votre meilleur outil de survie et de comprendre comment l’entraînement fait la différence entre un simple incident maîtrisé et un accident tragique.
Ce guide est structuré pour vous fournir des protocoles clairs et des actions concrètes pour chaque situation critique. En naviguant à travers ces sections, vous construirez une base de connaissances solides pour faire face à l’imprévu avec méthode et sang-froid.
Sommaire : Gérer l’imprévu en mer, les procédures qui font la différence
- Homme à la mer : la procédure que chaque équipier doit connaître par cœur
- Mayday, Mayday, Mayday : comment lancer un appel de détresse clair et efficace
- Feu à bord : les gestes qui sauvent et les erreurs fatales à ne pas commettre
- Voie d’eau : le compte à rebours est lancé, voici comment gagner du temps
- Le sac que vous n’utiliserez jamais mais qui doit être parfait : que mettre dans son grab bag ?
- Les 3 gestes de premiers secours qui peuvent sauver une vie à bord
- Vent contre courant : la combinaison qui transforme une mer agitée en un piège mortel
- Votre pharmacie de bord ne vaut rien si vous ne savez pas vous en servir
Homme à la mer : la procédure que chaque équipier doit connaître par cœur
L’annonce « Homme à la mer ! » est une déflagration. En un instant, l’ambiance détendue d’une navigation se transforme en une course contre-la-montre où chaque seconde compte. La première erreur, la plus commune, est l’agitation désordonnée. Sans une procédure claire et répétée, l’équipage devient un groupe d’individus paniqués, courant dans tous les sens et perdant un temps précieux. La clé n’est pas l’action frénétique, mais une répartition des tâches instantanée et sans équivoque, un véritable automatisme procédural qui doit être aussi naturel que de hisser une voile.
La survie de la personne tombée à l’eau dépend de la capacité de l’équipage à exécuter une chorégraphie précise. Le point le plus critique est la surveillance visuelle. Perdre le contact, même quelques secondes dans une mer formée, réduit drastiquement les chances de récupération. C’est pourquoi le rôle du Vigile est fondamental : il doit ne jamais quitter la victime des yeux, la pointer du doigt en permanence et communiquer sa position relative au bateau.

Comme le montre cette image, toute la concentration de l’équipier est tournée vers un seul objectif. Cette coordination parfaite entre les membres de l’équipage est la pierre angulaire de la réussite. Elle ne s’improvise pas ; elle se décrète, s’apprend et se répète lors de briefings de sécurité avant chaque départ. Chaque équipier, même le plus novice, doit connaître son rôle potentiel dans ce scénario.
Pour contrer l’effet de sidération et la confusion, la procédure doit être divisée en quatre rôles clairs et distincts que chacun doit mémoriser :
- Le Vigile : Ne quitte JAMAIS la personne des yeux, pointe constamment du doigt, et verbalise clairement sa position par rapport au bateau.
- Le Communicant : Se dirige immédiatement vers la VHF sur le canal 16 et se prépare à lancer un appel de détresse si la récupération s’avère difficile.
- Le Manœuvrier : Stoppe immédiatement les hélices pour éviter toute blessure et entame la manœuvre de récupération la plus adaptée (comme la manœuvre de Boutakoff), en suivant les indications du Vigile.
- Le Récupérateur : Lance la bouée couronne, idéalement équipée d’un feu à retournement, et prépare tout le matériel nécessaire à la remontée à bord (échelle, bout, harnais).
Cette répartition des tâches permet de réduire la charge cognitive individuelle et de transformer un groupe en une unité de sauvetage efficace. Répéter mentalement et verbalement cette procédure en équipage est le meilleur investissement temps que vous puissiez faire pour votre sécurité.
Mayday, Mayday, Mayday : comment lancer un appel de détresse clair et efficace
Lancer un appel Mayday n’est pas un aveu d’échec, c’est un acte de responsabilité. C’est le déclenchement d’une chaîne de secours professionnelle et extrêmement efficace en France, coordonnée par les Centres Régionaux Opérationnels de Surveillance et de Sauvetage (CROSS). Pourtant, la peur de « déranger », le doute ou le stress peuvent conduire à retarder l’appel ou à le rendre confus. Un appel de détresse réussi est un appel calme, clair et structuré. L’objectif est de transmettre l’information la plus cruciale en un minimum de temps pour permettre aux secours de vous localiser et d’évaluer la situation.
L’outil privilégié pour cet appel est la VHF sur le canal 16. Bien que le téléphone permette de joindre les secours via le 196, la VHF offre des avantages décisifs : elle alerte tous les navires sur zone qui peuvent vous porter assistance bien avant l’arrivée des secours officiels, et elle n’est pas dépendante de la couverture du réseau mobile, souvent aléatoire au large. Comme le préconise la SNSM dans son guide officiel sur les procédures d’urgence, la VHF reste le moyen de communication le plus sûr en mer.
Le 196 permet de joindre directement les CROSS depuis un téléphone. Si vous êtes à bord d’un bateau, les Sauveteurs en Mer préconisent l’utilisation de la VHF canal 16, beaucoup plus sûre.
– SNSM, Guide officiel de la SNSM sur les procédures d’urgence
La rapidité de l’intervention dépend directement de la qualité de votre message. Un message clair permet une mobilisation immédiate. En France, cette chaîne de secours est remarquablement performante, ce qui permet un appareillage en 17 minutes en moyenne pour les équipes SNSM après l’alerte du CROSS. Pour être efficace, votre message doit suivre une structure mémorisable :
- MAYDAY, MAYDAY, MAYDAY (répété trois fois pour signaler la détresse).
- Ici le navire [Nom du bateau] (répété trois fois).
- [Indicatif d’appel et n° MMSI] (si vous les avez).
- Position : [Coordonnées GPS ou position par rapport à un amer connu].
- Nature de la détresse : [Feu, voie d’eau, homme à la mer…].
- Nature de l’assistance demandée : [Assistance immédiate].
- Nombre de personnes à bord.
- Toute autre information utile : [Le bateau coule, blessés à bord…].
- Terminez par « À VOUS ».
L’entraînement consiste simplement à lire et relire cette structure à voix haute, pour que le jour où vous en aurez besoin, les mots sortent de manière fluide et automatique, sans que la panique ne prenne le dessus.
Feu à bord : les gestes qui sauvent et les erreurs fatales à ne pas commettre
Le feu est sans doute l’incident le plus redouté en mer. Contrairement à un incendie à terre, il n’y a nulle part où fuir. Le bateau, votre abri, devient un piège mortel en quelques minutes. La gestion d’un départ de feu est une course contre-la-montre où les premières secondes sont décisives. L’erreur fatale la plus courante est de vouloir ouvrir un compartiment moteur ou une cabine remplie de fumée. L’appel d’air ainsi créé peut transformer un feu couvant en un véritable brasier incontrôlable. La règle d’or est simple : ne jamais nourrir le feu en oxygène.
La meilleure lutte contre l’incendie est la prévention. Une part écrasante des départs de feu à bord provient de circuits électriques défectueux ou de fuites de gaz. La préparation ne consiste pas seulement à savoir où sont les extincteurs, mais à s’assurer en amont que les risques sont minimisés. C’est le rôle de la ronde de sécurité systématique avant chaque sortie en mer. Elle doit devenir un rituel, un automatisme au même titre que la vérification de la météo.
Votre checklist de sécurité incendie avant chaque départ
- Inspection visuelle : Vérifiez l’ensemble du circuit de gaz, en vous fiant aussi à votre odorat pour déceler une éventuelle fuite.
- Zone moteur : Assurez-vous qu’aucun chiffon, vêtement ou matériau inflammable ne se trouve à proximité du moteur ou de l’échappement.
- Accessibilité des extincteurs : Contrôlez que chaque extincteur est à sa place, facilement accessible, et que le manomètre de pression est dans le vert.
- Détecteurs : Si votre bateau en est équipé, testez le détecteur de fumée et de monoxyde de carbone. Un simple appui suffit.
- Matériel complémentaire : Localisez la couverture anti-feu (idéale pour un feu de cuisine) et vérifiez que son accès n’est pas obstrué.
Si malgré tout un feu se déclare, le premier geste est de couper immédiatement l’alimentation de la source (gaz, électricité, moteur). Ensuite, il faut utiliser le bon extincteur. La réglementation française (Division 240) impose un nombre et un positionnement stratégique des extincteurs selon la taille et le type de navire. Connaître leur emplacement est une chose, pouvoir y accéder en urgence en est une autre.
Ce tableau, basé sur la réglementation, illustre comment le positionnement des extincteurs est pensé pour une accessibilité maximale en cas de crise. Il est impératif que ces emplacements ne soient jamais encombrés.
| Type de navire | Emplacement extincteur 1 | Emplacement extincteur 2 | Emplacement extincteur 3 |
|---|---|---|---|
| Voilier 10-15m | Près de la descente | Compartiment moteur | Cockpit (accessible rapidement) |
| Bateau moteur 8-12m | Poste de pilotage | Compartiment moteur | Cabine avant |
| Catamaran | Coque tribord descente | Coque bâbord descente | Nacelle centrale |
En cas de feu moteur, utilisez le port d’extinction prévu à cet effet sans jamais ouvrir le capot. Si le feu n’est pas maîtrisé en moins d’une minute, la priorité absolue devient l’évacuation. Lancez le Mayday, préparez le grab bag et le radeau de survie. L’acharnement est l’ennemi du survivant.
Voie d’eau : le compte à rebours est lancé, voici comment gagner du temps
Le bruit de l’eau qui s’infiltre dans les fonds est une source d’angoisse majeure. Une voie d’eau engage un compte à rebours implacable : il faut trouver la fuite et la maîtriser avant que le volume d’eau embarqué ne compromette la flottabilité et la stabilité du navire. Dans cette situation, la panique est une perte de temps. La gestion d’une voie d’eau est une affaire de méthode, une procédure de diagnostic rapide qui doit être enclenchée immédiatement. Selon les données disponibles, près de 51% des interventions maritimes sont coordonnées par les CROSS et impliquent la SNSM, soulignant la fréquence des avaries structurelles et techniques.
Le premier réflexe doit être d’activer la ou les pompes de cale (manuelle et électrique) pour commencer à étaler la montée des eaux. Immédiatement après, il faut lancer la procédure de diagnostic « L-E-I » : Localiser, Évaluer, Isoler. C’est un automatisme mental qui permet de structurer la recherche et d’éviter les actions désordonnées. Il faut être méthodique, soulever chaque plancher, ouvrir chaque coffre, en suivant le bruit de l’eau.
- LOCALISER : L’objectif est de trouver l’origine de l’entrée d’eau. Il faut d’abord déterminer sa nature : goûtez l’eau. Si elle est douce, la fuite provient d’un réservoir d’eau ou du chauffe-eau, ce qui est moins critique. Si elle est salée, la coque est percée.
- ÉVALUER : Une fois la fuite localisée, il faut estimer son débit. Cette évaluation déterminera le niveau d’urgence. Un verre par minute est gérable, un seau par minute est une urgence qui nécessite une action immédiate, une baignoire par minute est une situation critique qui impose un appel Mayday et la préparation à l’évacuation.
- ISOLER : Si l’entrée d’eau provient d’un passe-coque (vanne, sondeur, WC marin…), le premier geste est de fermer la vanne correspondante. C’est pourquoi chaque membre d’équipage doit savoir où se trouvent toutes les vannes du bateau.
Si la fuite ne vient pas d’un passe-coque, il faut la colmater. C’est là que votre matériel d’urgence prend tout son sens. Avoir un kit dédié est essentiel.

Ce kit doit contenir des pinoches coniques de différents diamètres, du mastic époxy à prise rapide sous l’eau, des morceaux de caoutchouc et des sangles. Parfois, des moyens de fortune comme un coussin ou une planche peuvent aider à réduire le débit en attendant une réparation plus solide. La technique consiste à enfoncer une pinoche en force dans le trou ou à appliquer une « rustine » de fortune maintenue par un étai ou une sangle.
Connaître l’emplacement de chaque passe-coque et avoir un kit de colmatage prêt et accessible n’est pas une option, c’est une nécessité. C’est cette préparation qui vous donnera les minutes nécessaires pour transformer une situation critique en un incident gérable.
Le sac que vous n’utiliserez jamais mais qui doit être parfait : que mettre dans son grab bag ?
Le « grab bag », ou sac de survie, est l’objet paradoxal par excellence. On passe du temps à le préparer, à le vérifier, en espérant de toutes ses forces ne jamais avoir à l’attraper dans la précipitation pour abandonner son navire. Sa perfection ne réside pas dans la quantité d’objets qu’il contient, mais dans la pertinence de sa composition et la logique de son organisation. Un grab bag mal pensé est un poids mort. Un grab bag bien conçu est une assurance-vie.
L’erreur commune est de le considérer comme un simple fourre-tout. La bonne approche est de le structurer comme une série de kits thématiques, souvent identifiés par des couleurs. Cette organisation modulaire permet de trouver instantanément ce que l’on cherche sous le stress intense d’une évacuation, dans un radeau de survie exigu et chahuté. Le contenu doit répondre à quatre besoins fondamentaux : être repéré, rester en vie, communiquer et garder le moral.
Une organisation efficace pourrait suivre ce modèle, en adaptant le contenu à votre zone de navigation spécifique :
- Kit Signalisation (sac étanche jaune) : Fusées parachute, feux à main, fumigènes, miroir de signalisation, sifflet, lampe flash ou cyalume. C’est le kit pour être vu et entendu.
- Kit Médical (sac étanche rouge) : Une pharmacie de première urgence étanche, des couvertures de survie, des compresses, de l’antiseptique, et les médicaments personnels indispensables de chaque équipier.
- Kit Hydratation/Nutrition (sac étanche bleu) : Des rations d’eau et de nourriture de survie (compactes et caloriques), des pastilles de purification d’eau, voire des pailles filtrantes.
- Kit Moral (sac étanche vert) : Souvent négligé mais crucial pour tenir dans la durée. Des photos plastifiées de la famille, un jeu de cartes étanche, un crayon et un carnet imperméable. Pour les navigations en eaux froides comme la Manche ou l’Atlantique, ce kit peut inclure des chauffe-mains chimiques, des bonnets en néoprène et des gants étanches.
Un grab bag n’est pas un objet statique. Il vit au rythme des saisons et de vos navigations. Son contenu se périme, les piles des appareils électroniques (VHF portable, GPS portable) se déchargent. Une maintenance régulière est donc impérative, comme le rappelle ce calendrier de maintenance recommandé par les autorités maritimes françaises.
| Période | Actions à effectuer | Points de vigilance |
|---|---|---|
| Début de saison (avril) | Vérification piles, dates péremption pharmacie et rations | Remplacer tout élément périmé dans les 6 mois |
| Mi-saison (juillet) | Contrôle étanchéité sacs et contenants | Tester fermetures éclair et joints |
| Fin saison (octobre) | Inventaire complet et stockage au sec | Noter les éléments à renouveler pour la prochaine saison |
Ce sac doit être stocké dans un endroit immédiatement accessible depuis le cockpit, jamais au fond d’un coffre. Le jour où vous en aurez besoin, vous n’aurez pas le temps de le chercher.
Les 3 gestes de premiers secours qui peuvent sauver une vie à bord
Avoir un blessé grave à bord, à plusieurs heures des côtes, est une situation d’une tension extrême. En mer, vous êtes seul. L’aide médicale mettra du temps à arriver. Les gestes de premiers secours que vous maîtrisez peuvent faire la différence entre une blessure grave et un drame. Cependant, appliquer les techniques apprises à terre dans un environnement instable, humide et exigu est un défi. La compétence clé est l’adaptation des gestes au contexte marin.
Inutile de viser l’exhaustivité. Mieux vaut maîtriser parfaitement trois gestes fondamentaux que d’en connaître vingt de manière approximative. Le premier geste est évidemment d’évaluer la situation et de contacter le Centre de Consultation Médicale Maritime (CCMM) via la VHF ou un téléphone satellite. Un médecin régulateur vous guidera, mais pour cela, il aura besoin d’informations précises que vous devrez collecter. Avant même d’appeler, préparez les constantes vitales de la victime : état de conscience, fréquence respiratoire, pouls.
Voici trois adaptations de gestes de base qui sont cruciales en mer :
- Le massage cardiaque sur un pont instable : Tenter de faire un massage cardiaque sur un voilier qui roule est presque impossible si l’on n’adapte pas sa position. Il faut se caler fermement, les genoux très écartés de part et d’autre de la victime. Certains secouristes marins recommandent même d’utiliser le rythme du roulis pour amplifier la pression, en appuyant lorsque le bateau s’incline de votre côté.
- La protection contre l’hypothermie pendant les soins : En mer, une victime, même en été, se refroidit très vite à cause du vent et des embruns. Le réflexe doit être immédiat : avant même de traiter une hémorragie, il faut couvrir la victime avec une couverture de survie ou tout ce qui est sec et isolant, et si possible la déplacer à l’abri du vent (dans la descente, par exemple).
- L’improvisation d’une attelle marine : En cas de suspicion de fracture, immobiliser le membre est prioritaire. Le matériel de bord est une mine d’or pour cela. Une gaffe, un aviron ou une latte de grand-voile peut servir de tuteur rigide. Un bout, tendu fermement mais sans couper la circulation, est parfait pour la maintenir en place.
Se former est indispensable. Selon les dernières statistiques, seulement 40% des Français sont formés aux premiers secours en 2024, un chiffre qui souligne une lacune générale, d’autant plus critique en mer où l’autosuffisance est la règle. Des formations spécifiques comme le PSMer (Premiers Secours en Mer) existent et sont un investissement inestimable pour un chef de bord.
La finalité n’est pas de se substituer à un médecin, mais de savoir stabiliser une victime et de la maintenir en vie le temps que les secours, guidés par le CCMM, prennent le relais.
Vent contre courant : la combinaison qui transforme une mer agitée en un piège mortel
Une mer agitée fait partie du quotidien du marin. Pourtant, il existe des conditions où une mer forte se transforme en un véritable piège, capable de mettre en difficulté les navires les plus solides et les équipages les plus aguerris. La combinaison la plus dangereuse est sans conteste celle d’un vent fort soufflant contre un courant puissant. Ce phénomène, bien connu des marins expérimentés, crée une mer chaotique, abrupte et déferlante, avec des vagues pyramidales imprévisibles. La hauteur des vagues peut augmenter de façon spectaculaire et leur fréquence se raccourcir, rendant la navigation extrêmement périlleuse.
Le bateau ne se contente plus de monter et descendre les vagues, il « tape » violemment, subissant des chocs structurels énormes. Le risque de déferlante dans le cockpit augmente, tout comme le risque de blessure pour l’équipage ou de chute à la mer. Comprendre et anticiper ces zones est un élément fondamental de la préparation d’une navigation. En France, plusieurs zones sont tristement célèbres pour ce phénomène.

L’anticipation est la seule parade. Avant de s’engager dans un passage à fort courant, la consultation des horaires de marée et des prévisions de vent est non-négociable. Si les deux s’opposent, la seule décision sage est d’attendre l’étale ou l’inversion du courant, ou de choisir une route alternative. Le gain de quelques heures ne justifie jamais le risque pris.
Voici un tableau récapitulatif de quelques-uns des points noirs les plus connus sur les côtes françaises, où la vigilance doit être maximale.
| Zone dangereuse | Conditions critiques | Source d’information |
|---|---|---|
| Raz de Sein | Coefficient >90, vent SW >25 nœuds | Guide SHOM, Navionics |
| Raz Blanchard | Coefficient >70, vent opposé au courant | Almanach du Marin, Savvy Navvy |
| Le Four | Coefficient >80, vent NW >20 nœuds | Instructions nautiques SHOM |
| Pertuis charentais | Coefficient >95, vent W fort | Capitainerie La Rochelle |
| Bouches de Bonifacio | Mistral >30 nœuds contre courant Est | CROSS Med, Windy |
La dangerosité de ces zones est illustrée par de nombreux récits de mer, parfois tragiques. L’un d’eux, rapporté par des sauveteurs, souligne la double peine que représente une chute à la mer dans ces conditions.
Étude de cas : Témoignage de sauveteur SNSM au Raz Blanchard
En octobre 2005, à la sortie du Raz Blanchard, un navigateur solitaire sur un voilier de 41 pieds est tombé à l’eau. Resté attaché par son harnais, il a été traîné derrière son bateau pendant près de 10 heures dans une eau froide. Lorsqu’il a finalement été repéré et secouru, il était en hypothermie sévère, avec une température corporelle de 32°C. Ce témoignage glaçant met en lumière non seulement la violence de la mer dans ces zones, mais aussi le facteur aggravant de la température de l’eau et l’importance cruciale du temps dans les opérations de sauvetage.
Ignorer ce phénomène n’est pas du courage, c’est de l’inconscience. La mer exige le respect, et le respect commence par la connaissance de ses pièges les plus redoutables.
À retenir
- La procédure prime sur l’improvisation : Face à une crise, suivre une chorégraphie apprise et répétée est la seule façon de contrer la panique et d’agir efficacement.
- La communication est une ligne de vie : Que ce soit pour coordonner l’équipage, lancer un Mayday clair ou dialoguer avec le CCMM, une communication précise et calme est au cœur de la gestion de l’urgence.
- La prévention est la meilleure des sécurités : Une ronde de sécurité avant le départ, la maintenance du grab bag et l’analyse des conditions météo sont des actions qui empêchent la plupart des incidents de se transformer en accidents.
Votre pharmacie de bord ne vaut rien si vous ne savez pas vous en servir
Avoir une pharmacie de bord complète, conforme aux recommandations, est un prérequis. Mais face à une coupure profonde, une brûlure ou une suspicion d’entorse, la plus grande boîte à pharmacie du monde est inutile si vous ne savez pas quel produit utiliser, dans quel ordre, et surtout, quels signes surveiller. Le matériel ne soigne pas, c’est la compétence qui soigne. La véritable valeur de votre pharmacie de bord ne réside pas dans son inventaire, mais dans votre capacité à l’utiliser de manière rationnelle et procédurale.
Sous l’effet du stress, la mémoire peut flancher. L’approche la plus sûre est de préparer des « fiches réflexes » plastifiées, rangées avec votre matériel médical. Chaque fiche correspond à une urgence courante et décompose l’intervention en une séquence simple : Observer, Questionner, Agir, Surveiller (OQAS). Cette méthode transforme un problème médical complexe en une checklist gérable, réduisant le risque d’erreur ou d’oubli.
Voici des exemples de fiches réflexes pour les cinq urgences les plus fréquentes en mer :
- Coupure profonde : OBSERVER (le saignement est-il continu ou pulsatile ?). QUESTIONNER (évaluer la douleur sur une échelle de 1 à 10). AGIR (appliquer une compression manuelle directe, puis poser un pansement compressif). SURVEILLER (la coloration des extrémités, le pouls en aval de la blessure).
- Brûlure : OBSERVER (l’étendue et la profondeur de la brûlure, présence de cloques). QUESTIONNER (les circonstances de l’accident). AGIR (refroidir sous un filet d’eau froide à 15°C pendant au moins 15 minutes). SURVEILLER (l’apparition de signes d’infection les jours suivants).
- Entorse : OBSERVER (déformation visible, œdème). QUESTIONNER (la victime a-t-elle entendu un craquement ?). AGIR (appliquer le protocole RICE : Repos, Ice/Glace, Compression, Élévation). SURVEILLER (la circulation en aval, l’évolution du gonflement).
- Piqûre de vive : OBSERVER (plaie souvent minime, mais douleur intense). QUESTIONNER (la localisation exacte). AGIR (immerger la zone atteinte dans de l’eau la plus chaude possible, autour de 45°C, pendant 30 minutes pour détruire le venin). SURVEILLER (d’éventuels signes de réaction allergique).
- Otite barotraumatique : OBSERVER (si vous avez un otoscope, le tympan peut être rouge). QUESTIONNER (la victime a-t-elle plongé ou subi une variation de pression récemment ?). AGIR (donner des antalgiques pour la douleur et des décongestionnants nasaux). SURVEILLER (l’apparition de vertiges).
Cette approche procédurale ne remplace pas une formation, mais elle constitue un filet de sécurité indispensable. Pour transformer véritablement votre pharmacie en un poste de soin avancé, l’étape suivante est claire : suivez une formation de premiers secours en mer (PSMer) pour ancrer ces gestes par la pratique.